BACTERIES DANS LE GASOIL. Sournois, le danger guète.
Toute mécanique, particulièrement nautique, même la plus simple, connaît un état normal, naturel, stable, appelé "la panne" . On peut dans certains cas, et pour une durée toujours limitée, la maintenir dans un état anormal et parfaitement instable, appelé "état de marche".
(Pierre-Antoine Muraccioli, dit "Antoine")
La remontée de l’Amérique du sud nous avait pris plus de six mois. Il nous est donc arrivé, parfois, de faire le plein dans des stations services totalement improbables, mais nous avions tout prévu.
Un réservoir tampon de 400 litres et des pompes de refoulement parfaitement efficaces. L’approvisionnement n’était que le plein de ce réservoir tampon, le réservoir principal, de 400 litres aussi, avait vocation à toujours resté à raz bord pour éviter un trop grand volume d’air (parfois très humide) d’oxygéner la multitude d’organismes vivants qui adorent le gasoil. Le pompiste s’énervait souvent quand il devait prendre un temps inaccoutumé pour verser le carburant par l’intermédiaire d’un gros entonnoir filtre, supposé éviter que l’eau ne pénètre dans notre cuve. Un gros décanteur parachevé l’installation Ainsi équipé, il ne pouvait rien nous arriver. En effet tout au long de ces six mois nos deux Yanmar de 40cv ne se sont jamais pleins du carburant que nous leur fournissions. Bien évidement presque toutes les autres pannes possibles de façon tout à fait normale comme le dit si bien notre amis Antoine nous ont accablés, mais rien du coté « gasoil »
Nous allons bientôt quitter les côtes de l’Amérique du Sud. Une dernière étape à Trinidad pour profiter des nombreux chantiers et ships pas trop chers et se sera la mer des Caraïbes. Nous sommes parti de Cayenne (Dégrad-des-Cannes) au petit matin et grâce à un courant très soutenu Sud Sud-Est d’une rare persistance, le lendemain soir, à la tombée de la nuit, nous présentions nos étraves à l’embouchure du canal central d’entrée dans le « Golf de Paria » qui permet de rejoindre l’une des plus grosses concentrations de chantiers et d’hivernage des Caraïbes, « Chaguaramas »
Le seul petit problème de ce programme était que l’heure était à la marée descendante. Ce qui veut dire courant extrêmement violent face à nous avec le vent de ce courant bien établi. Tirer des bords dans ce canal étroit, surtout avec un catamaran dont le prés séré n’est pas l’allure de prédilection, n’a rien d’une sinécure, nous avons donc deux solutions, attendre la renverse ou utiliser le vent diésel pour contrer ces petits inconvénients.
Les moteurs à 2500 tr/mn, nous engageons dans le chenal. Le courant, vraiment très fort, nous entraine dans un gros bouillon vers la rive ouest de cette passe que je ne savais pas si dangereuse et c’est en crabe que nous progressons difficilement. Tout à coup, à moitié chemin, le moteur tribord commence à baisser dans les tours. 2 000 tr/mn puis 1 500 tr/mn et enfin il s’étouffe dans un silence assourdissant.
A son tour le moteur bâbord donne des signes de faiblesse. Nous hissons toute la toile pour appuyer le diésel devenu asthmatique en préparant un demi-tour acrobatique tant qu’il reste un souffle de vie à notre soutient mécanique et nous voila, sortant de ce goulet, par là ou nous étions rentré, comme une balle.
La mer n’est pas très clémente et nous éloignons des côtes que nous avons frôlées de bien trop prés à mon goût, pour attendre la renverse de façon à ne pas trop user de notre crédit auprès du Saint patron des marins, quel qu’il soit. J’en profite pour jeter un coup d’œil au moteur défaillant qui veut bien redémarrer avant de s’arrêter de nouveau. Je diagnostique un problème d’injection et je me félicite d’être à un saut de puce de plusieurs professionnels « compétant ».
C’est à la lumière d’une pleine lune bienvenue que nous nous amarrons (à la voile svp) au ponton de la douane.
Après un long sommeil réparateur, à la hauteur de nos émotions, un mécano diéséliste, faisant confiance à mon diagnostique) vient démonter la pompe à injection de laquelle s’échappe des filets verdâtres, fibreux et gluant en même temps qu’il nous révèle l’ampleur des dégâts. Le circuit gasoil est entièrement pollué par des bactéries ou des champignons ou tout autre indésirable.
Ces parasites ont failli nous amener tout droit sur les rochers. Je pensais pourtant, avoir pris toutes les précautions nécessaires…
Après la petite histoire qui se finie bien, parlons technique
Cette contamination est causée par une activité microbienne du gasoil. Outre les bactéries, on étend, avec le terme impropre « d’activités microbiologiques », le développement de champignons et levures (voir en fin d’article, le détail de cette faune microscopique).
Ces micro-organismes sont présents dans tous les produits pétroliers.
A un dosage de moins de 500 unités par ml Ils ne représentent aucun risque de dégât pour votre gasoil et donc pour votre système de propulsion.
Et puis viennent les pluies, torrentielles dans cette région du monde accompagnée d’une chaleur étouffante. Si, même dans une atmosphère sursaturée d’humidité, en dessous 8°C aucune croissance de cette faune minuscule ne peut se produire dés que votre carburant atteint 20° C la prolifération s’accélère pour atteindre son apogée autour de 40° C. Il faudra atteindre la température improbable de 60°C pour voir de nouveau les indésirables retomber en léthargie.
D’autre part, il faux de l’oxygène pour voir la multiplication microbienne démarrer. Plus la surface de gasoil en contact avec l’air est importante et plus le volume d’air (donc d’oxygène) est grand, plus le risque est évidant. Ainsi un réservoir plein sera moins propice qu’un réservoir laissé longtemps presque vide. Quand vous abandonnez votre bateau pour plusieurs mois il est judicieux de remplir votre réservoir, plutôt que remettre cette corvée (surtout financière) à votre retour. Dans nos régions tempérées, il n’est pas rare de voir un « été indien », un peu humide, responsable de la prolifération de ce problème chez les plaisanciers et parfois même chez les professionnels comme dans cette raffinerie allemande en automne 1994.
Certains critères physiques peuvent alertées les plaisanciers avant d’en arrivé à l’extrémité décrite dans la première partie, qui peut, elle, arriver avec une surprenante rapidité.
D’abord olfactive, la prolifération se fait avec un dégagement gazeux qui altère l’odeur caractéristique du gasoil. Ensuite visuel avec l’apparition d’une couleur tirant vers le marron un peu trouble. Enfin sonore avec, pour les réservoirs sans évents ou évent bouché, un bruit de surpression très prononcé à l’ouverture du réservoir (à ne pas confondre avec un bruit de dépression, lui, tout à fait normal).
Chacune de ces alertes doit vous faire penser au pire. Le pire, quand il survient, se traduit par votre réservoir envahi, en très peu de temps, par une masse visqueuse et nauséabonde, qui prolifère et bouche les canalisations et s’insinue jusqu'à l’intérieur de votre pompe pouvant l’endommager gravement.
Il est très difficile de se débarrasser de cette contamination, car même après un traitement efficace on peut retrouver, cachées dans les endroits inaccessibles quelques individus qui vont proliférer à nouveau.
Pourquoi ce phénomène est relativement nouveau ?
Pour une fois la lutte écologique est en cause. Depuis 2004, mais les meilleurs élèves avaient commencé dix ans plus tôt (voir la raffinerie allemande), de nouvelles réglementations internationales imposent au pétroliers une faible teneur en souffre dans le diésel, hors le souffre est le seul ennemi des bactéries (certains militants écologiques pensent que cette affirmation est abusive). Se rajoute à cette absence « d’insecticide » l’adjonction d’un anti mousse ainsi que l’apport d’un pourcentage non négligeable (7%) de biodiésel ou EMAG (Esters Méthyliques d’huile Végétale) hydrophiles, à haut pouvoir de détergence et naturellement riche en bactéries. Cette capacité à absorber l’eau peut provoquer une prolifération de la bactérie encore plus rapide et plus importante. Son pourvoir détergent va entraîner la formation accentuée de dépôts qui iront s’amalgamer avec les amas gluants de bactérie déjà en formation.
Ces précisions nous montre que quelque soient le fournisseur, ils sont tous contaminés, plus ou moins c’est certain mais une station de la marina de Monaco ne pourra, pas plus que celle de Chaguarama, vous livrer un carburant totalement sain.
Les solutions
Les solutions qui semblent évidentes. Comme tout organisme vivant, les bactéries, les champignons et les levures ont un besoin vital de se nourrir et de respirer, pour se reproduire ils leurs faudra en plus un peu de confort (la chaleur) La meilleure protection est donc de les priver totalement d’un de ces éléments, c’est l’absence d’eau dans les cuves et les réservoirs qui semble le plus facile à obtenir si ce n’est que le gasoil amène lui-même se qui est nécessaire aux « nuisibles ». Limiter l’air est faisable également, mais qu’elle gymnastique ! Réduire la chaleur est envisageable en envoyant le retour gasoil moteur (forcément très chaud dans une cuve de refroidissement avant son retour dans la cuve principale), l’installation ne sera pas très aisée.
En fait les solutions du commerce seront les plus faciles. Pour ceux qui n’ont pas été contaminé, il est indispensable d’essayer par tous les moyens d’enrayer le phénomène. Quels sont les outils ? Le premier et le plus simple est de remplacer à chaque plein le souffre manquant par un antibactérien efficace. Il existe aujourd'hui deux types d’additifs liquides biocides (chimique pur) et les bio-additifs (issus de la biotechnologie
Je n’ai aucune marque à vous conseiller mais il est )fortement recommandé que cet additif soit validé par le constructeur du moteur. Sans cela, vous utilisez un additif à vos risques et périls.
J’ai utilisé le « GROTAMAR 71 antibactérien » qui semble avoir de bon résultat, des amis sont fans de Bardhal . Il y a aussi beaucoup d’utilisateur du BCR avec le TC3 qui, ont, parait-il un effet bactéricide et fongicide très rapide, avec un effet nettoyant sur l’ensemble du système d’injection et le haut moteur. Je pense qu’à de rares exceptions prés, elles se valent à peut prés toutes et c’est la disponibilité qui guidera votre choix.
En dehors des traitements chimiques il est aussi possible d’utiliser un traitement physique à partir de la caractéristique anti agglomérant d’un champ magnétique appliqué au passage d’un fluide. Cette technique est utilisée pour éviter la plaque calcaire dans les circuits d’eau.
En un mot le fuel passe à travers un anneau aimanté. L'installation, simple et peu coûteuse, est sensée empêcher l’agglomération des bactéries leur permettant de pouvoir disparaitre dans la chambre à combustion. Cela ne vaut bien sur pour celles qui ont décidé tenter le passage dans le champ magnétique mais la prolifération bactérienne se poursuivra dans les endroits non soumis à ce champ comme… le réservoir par exemple. Vous me direz, c’est déjà ça, mais est ce suffisant ?
Il existe un filtrage dépolluant de votre gasoil à travers des installations externes qui ne rentre pas dans mon budget et donc que je n’ai pas testé ou même envisagé. Sachez tout de même que ces stations semblent donner toutes satisfactions. « SMART Fuel Polishing Systems » dont vous pourrez télécharger la fiche de présentation en suivant le lien, ou Algae-X que je vous laisse le soin de trouver sur la toile sont des mini stations d’épuration qui se charge de débarrasser de toutes impuretés un réservoir de 500 litres en une heure.
Mon système décrit dans le 1° paragraphe avec un réservoir tampon pour prendre le temps de filtrer le plus finement possible le gasoil avant de l’envoyer dans le réservoir principal et de faire le niveau de ce dernier le plus souvent possible, a montré ses limites même si les conditions étaient extrêmes en humidité, chaleur et pourcentage de biodiésel (le Brésil est, de loin , le pays qui ajoute le plus gros pourcentage de carburant issus de l’agriculture)
Conclusion
Cette attaque des « microscopiques » est sournoise et dangereuse.
Sournoise car, le plus souvent leur attaque est presque victorieuse quand vous prenez conscience que la guerre avait démarré, le « Pearl Harbor » de votre bateau en quelque sorte.
Dangereuse car la matière visqueuse que ces armées de bactéries provoquent se trouve le plus souvent en dépôt, au fond du réservoir, ou en suspension dans le gasoil. A l’occasion d’un plein, durant lequel le flux entrant du carburant va remuer ce dépôt, la matière dont il est fait va migrer vers le circuit d’alimentation, obstruant rapidement la filtration jusqu’à provoquer l’étouffement du moteur par manque de carburant et cela, bien sur, au plus mauvais moment suivant ainsi la loi de « l’emme…ent maximum » (voir la 1° partie).
Il est donc fortement recommandé de s’en prémunir par tous les moyens possibles: maintenance accrue des installations et usage permanent d’un additif efficace éliminant ces ennemis d’une navigation tranquille.
PG
Jean René Crozet nous suggère un remède de grand-mère : 1cl d’alcool à 90° pour 400 litres de gasoil. L’investissement est largement acceptable pour essayer tout en surveillant attentivement …. au cas ou !
https://www.facebook.com/jeanrene.crozet
Faune microscopique
- Bactéries : il existe en effet des dizaines de bactéries vraies, capables de vivre dans un gasoil ou un fioul domestique, voire pour certaines d’y proliférer. Ce sont en particulier des Acinetobacter, des Alcaligenes, des Bacillus, des Pseudomonas, etc …
Les bactéries se divisent en cinq familles selon leur position respiratoire : l’aérobie a besoin d’oxygène pour vivre et se développer, l’aéro-anaérobie apprécie une présence d’oxygène mais peut très bien s’en passer, la micro-aérophile a besoin d’une teneur en oxygène spécifique, l’anaérobie stricte meurt en présence d’oxygène, et l’anaérobie aérotolérant le tolère.
- Levures dont les Candidas et Rhodotorula sp.
- Champignons : ce sont peut être les plus nombreux, dont les Acremonium, Aspergillus, Cladosporium, Fusarium, Penicillium, Trichoderma, Ulocladium, etc …
- Moisissures,
- Algues.