Croisière côtière en Casamance "DE DAKAR A ZIGUINCHOR"
Par Ronan Berrehouc
«L’Afrique, où parfois rien n’a changé depuis des siècles, est comme une métaphore de la sérénité des peuples, à l’ère du zapping et de l’urgence futile...»
Nicolas de la Casinière
5 heures. Nous roulons vers Pompier, la grande gare routière de Dakar.
Il fait nuit, chaud, lourd, ça sent les ordures et la fumée, le gras des bouis-bouis qui commencent leur cuisine, la sueur matinale d’une grande ville qui ouvre son premier œil, l’Afrique industrielle... du moins ce qu’il en reste ! (le côté positif de la colonisation ?).
Nous entrons dans Pompier, odeur d’urine et de diesel qui polluent, on se bouscule déjà, c’est supportable ! Nous négocions 2 places pour Ziguinchor dans une 504 de sept places. Je tire la meilleure, devant, avec le chauffeur. Dix heures de taxi nous attendent...
Il faut pousser pour démarrer. Nous n’avons presque pas de feux de routes, si, parfois le chauffeur frappe le tableau de bord et soudain, magie du bricolage africain, la route devant nous est presque visible, cinq secondes seulement. Nous doublons, redoublons, un camion est renversé au milieu de la route, c’est l’anarchie, passe à droite, passe à gauche, accélère... sinon en face ? Le chauffeur égrène son chapelet de la main gauche en murmurant quelques versets coraniques et nous conduit dans l’invisible de la main droite... Allah Akbar (Allah est le plus grand), je l’espère de tout mon cœur de mauvais chrétien.
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Coriana : Dériveur lesté de 9.60m, coque
L’aventure a commencé, je suis bien, heureux comme un enfant, innocent de tout, ma figure s’est fabriquée son plus large sourire depuis des mois. Nous fonçons à travers l’Afrique, vitres ouvertes, un beau jour pour mourir... mais Coriana nous attend.
Devant nous, l’aube pointe. Un disque rouge monte sur l’horizon, quelques alto-cumulus se promènent dans le ciel converti au bleu du jour. Dans le taxi, l’aurore qui naît, a réveillé les langues. On discute foot. Nous ne sommes plus des touristes mais des voyageurs. Nous sommes curieux. Nous acceptons leur curiosité.
Plus loin, sans étonnement, nous crevons. Le cric jette l’éponge ! La chaleur s’installe, la fraîcheur ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir, un mot sans aucun sens. Nous attendons un cric moins fatigué que le précédent... le prochain véhicule tout simplement.
Nous approchons de la Gambie, la piste devient épouvantable, défoncée, écorchée, la saison des pluies ne l’a pas épargnée. Nous attendons deux heures (c’est peu !) pour prendre le bac et traverser le fleuve...
De chaque côté, le commerce fait rage, ça déborde de vie, de poussière, de gaz d’échappement.
On peut tout manger, tout boire, tout acheter, des arachides, du tissu, des vêtements, des ballons, des montres et mille autres choses !
À deux cents mètres des berges, c’est à nouveau la brousse, à perte de vue, avec notre piste qui s’y enfonce comme elle peut. Nous passons les douanes sans problème. Un des passagers est un chef militaire nommé à Ziguinchor, il facilite bien nos affaires, on ne nous fait pas attendre sous le soleil, nous gagnons du temps. En Afrique pensez donc ! La Casamance est proche, le vert fait son apparition dans le paysage, les rizières sont partout, exubérantes, épaisses, humides, chaudes. Nous arrivons à Ziguinchor vers 16 heures. En sortant mon sac du coffre, une dizaine de cafards se dispersent à mes pieds... Kassoumaye !*
Le temps d’embarquer dans un autre taxi et 10 minutes plus tard, nous sommes au «Perroquet», haut lieu de ralliement des voiliers à Zig au bord du fleuve. Katell s’empresse de prendre une douche, moi une «Gazelle» bien fraîche. Quétzal, (Mathieu et Delphine, nos amis) est sur son ancre.
Demain, il descend le fleuve jusqu’à Cachouane, nous en profiterons pour y retrouver Coriana.
Nous retrouvons Coriana !
Nous descendons le fleuve, pas un souffle, si peu, toujours dans le nez. Il fait une chaleur épaisse qu’il va falloir réapprendre à supporter.
Le paysage défile. D’abord l’Ile aux Oiseaux et puis la Pointe des Diolas, la Pointe Elana. Au loin, on dirait que la Pointe St Georges s’évapore. Tien
s, de gros dauphins nous accompagnent ! Ils ne restent jamais très longtemps ici, mais c’est toujours aussi plaisant.
Je devine Karabane et puis Djogué l’embouchure, l’Océan.
Nous rentrons dans le bolong de Cachouane. Les hérons dressés sur les branches de palétuviers, les pélicans qui se promènent, les chasses de poissons qui font frétiller la surface. C’est la fin du jour, un dernier méandre et nous arrivons à Ebounkout*.
Coriana est là, belle comme Jeanne Moreau, mouillée sur ses deux ancres (une Danforth de 16 kg et une Delta de 20 kg, empennelées sur 40 m de chaîne de 10) pour encaisser les tornades.
Six mois, six mois déjà ! Eh oui, il faut bien travailler un peu, regonfler la caisse de bord !....
Nous retrouvons Cachouane, qui a bien changé avec sa nouvelle tenue de fin d’hivernage. Les sentiers ne sont plus les mêmes.
Les rizières ont tout transformé, la nature est débordée par la vie qu’elle a engendrée, un insectarium gigantesque.
Grillons, crickets et lucioles s’accordent tous les soirs, chantent et dansent, sous la menace du lézard. On dirait l’Afrique !
Nous reprenons nos habitudes, la pêche au filet, la lessive au puits, le pain à la cocotte, la sieste «obligatoire», la douche en plein air, la partie de foot de 17h et puis la bière fraîche chez Papy’s quand le soleil chatouille l’horizon. Quelle joie de retrouver cette vie !
Quel bonheur de la vivre en bateau. Il faut partout s’arrêter, discuter, rigoler, parfois même chanter et danser.
Un soir, nous sommes invités à prendre le thé chez Pierre-Antoine, qui a surveillé Coriana pendant l’hivernage. C’est un ancien récolteur de Bounouk, le vin de palme dont on raffole ici. Il en fait toujours un peu... Faut pas le dire à Hélène, sa femme ! Il est aussi pêcheur et un peu sorcier. Hélène nous offre deux bouquets de riz, pour nous remercier des cadeaux que nous leur avons faits.
C’est joli et ça doit nous porter bonheur. Boire le thé prend une heure ou plus, c’est un tout un art de le faire à la sénégalaise et un bon prétexte pour discuter.
La lune monte doucement dans les cocotiers, la brousse s’éclaire, on distingue les sentiers. Il est l’heure de rejoindre Coriana. À bocadium, oumotalsoum*.
Nous restons à Cachouane une quinzaine de jours, le temps de remettre Coriana en ordre. La coque est couverte d’anatifes. L’antifouling est mort et il faut plonger dans les eaux troubles pour gratter à l’étale, sinon le courant vous emporte. Monsieur Faryman (notre moteur) est récalcitrant, nous changeons les filtres et réamorçons. Après quelques essais infructueux, Monsieur se décide enfin. Ah ! Les joies de la “diéselie” !
Ça nous aura coûté de la sueur et une bonne odeur de gas-oil. Enfin, Coriana est prête et nous allons déranger le couple de martins-pêcheurs qui, durant notre absence, avait élu domicile sur nos barres de fléchés. Un dernier café chez Papy’s pour dire au revoir, à bientôt et puis nous relevons l’ancre. Nous sortons du bolong de Cachouane, passons devant Elinkine, et amorçons la partie délicate de la navigation, la sortie par Karabane. Ici, il y a des bancs de sable difficiles à repérer. Peut-être une branche qui dépassera à la surface ou une irisation de l’eau légèrement différente, c’est l’observation du paysage, l’instinct aussi qui font la différence (mais pas toujours) un brin d’audace!
Et puis les informations, glanées auprès des autres voiliers (il faut aussi s’en méfier). Les cartes sont inutiles car obsolètes. La Casamance n’est pas figée comme nos côtes bretonnes. Elle est en perpétuel mouvement, les pièges se déplacent. Nous avançons, les fonds remontent, 6m, 5m, 4m, 3m... Il faut choisir, bâbord ou tribord. Devant nous, «Bilbo» a déjà mis de l’Est dans sa route, le banc de sable à tribord semble dépassé. Allez, va pour tribord, c’est le bon choix. Nous remontons le fleuve, le courant nous emmène avec lui, le banc de Ouangaran est laissé à bâbord. «Bilbo» nous attend pour l’entrée du bolong d’Ouniomounêye que nous ne connaissons pas.
Sur la pointe nord, il y a un petit campement de pêcheurs. Les fonds remontent jusqu’à 2,70m. C’est une belle entrée ! Merci Jeannot !
Niomoun, la chasse au croco !
16 heures, nous jetons l’ancre par 4m de fond devant Niomoun. C’est calme, tout le village travaille à la récolte du riz, pas un souffle pour troubler la quiétude du mouillage.
Les deux grands fromagers, sur la berge, sont encore un poil court pour nous protéger du soleil, qui n’a qu’une idée en tête, celle de nous brûler ! Nous installons notre taud, un hamac brésilien tendu sur la bôme.
Nous essayons de respirer, 37°C dans Coriana. Nous dégoulinons littéralement de sueur. Je pense aux villageois, comment font-ils pour travailler ? C’est impensable.
Le village de Niomoun est étendu sur 4 quartiers, très animiste, du pur et dur. Ici on fait parler les morts et les femmes stériles finissent par enfanter... Le bombolong* est encore en activité et n’a rien de folklorique.
Il faut oublier ce qu’on croit connaître et croire en ce qu’on ne peut expliquer, c’est la règle du jeu. Celle qui permet de pénétrer les secrets qu’on veut bien nous dévoiler. Hop, hop, hop, restons simples, pour nous, il y a un petit campement où la bière est toujours fraîche, bonne et pas chère (votons tous “animiste” aux prochaines élections !). Bref, nous devions stopper deux jours et puis, le plaisir se prenant là où on le trouve, nous y sommes restés 4.
Un soir, nous participons à une chasse aux crocodiles dans les anciennes rizières où ils rôdent la nuit pour se nourrir.
Armés d’un vieux fusil qu’un tirailleur sénégalais a dû rapporter de sa campagne de Verdun et de cartouches «spéciales», nous partons courir sur les chemins étroits, qui séparent les rizières, avec Michel et Marie (Ilo), accompagnés de nos spécialistes casamançais, Hyacinthe à la lampe torche et François au fusil. Pieds-nus, bien sûr, parce qu’en claquettes, ça ne le fait pas dans le “poto-poto”*. Hyacinthe balaye les berges avec le faisceau de la lampe, nous scrutons attentivement. Ça y est, là, deux points rouges, des yeux de croco sur l’autre rive, à moins de 100 m. Courons, courons, là, ils sont deux, un gros et un petit... Le temps d’arriver, le gros a plongé, mais le petit a eu droit à un bon coup de machette avec Hyacinthe, il gênait le passage... Il plonge, malgré sa blessure, un peu groggy, on le repère vite. Ses deux yeux hors de l’eau s’allument dans le faisceau de la torche. Il s’approche, on s’approche aussi, BANG! Toute la brousse résonne... Déception, il ne mesure pas plus de 70 cm.
On s’imaginait déjà devoir le porter à six pour le ramener au village, comme dans un film rétro sur les colonies ou Tarzan ! La suite de la chasse, à la recherche du gros croco d’1m50 ne sera pas fructueuse. Nous le cherchons tout de même pendant un bon quart d’heure, juste le temps de se faire bouffer les chevilles par les moustiques. Soudain, François se met à courir. Il a dû voir quelque chose. On le suit : «qu’est ce que tu as vu François ?» Un chacal... S’il avait eu son chien, on aurait pu tuer ce chacal.
Quel festin nous aurions fait. Tant pis, nous dégusterons le croco demain midi, préparé par Joséphine.
Qu’il fut bon ce croco, surtout la sauce qui l’accompagnait et les quelques canards rajoutés.
Nous resterons à Niomoun pour Noël. Ensuite, se sera les îles du nord, les flamands roses et les singes, la pêche dans les bolongs.
La vie quoi !