Les aléas du cap compas « Complément d’enquête »

07-04-2013 00:00:00

Pierre a eu l’amabilité de bien vouloir compléter les explications de notre ami PG en nous adressant une expertise très détaillée sur le cap compas. Les amateurs éclairés seront certainement ravis et c’est avec plaisir que nous la publions.

 

Un superbe objet

 

S'agissant de l'utilisation du compas sur un voilier, voici mon analyse :

Il n'est pas rare de trouver 2 types de compas, l'un magnétique (de cloison ou sur la console), l'autre électromagnétique ou encore appelé vanne de flux ou fluxgate. Ce dernier est généralement associé au pilote automatique.
Ces deux compas réagissent comme toute boussole aimantée et s'orientent selon la direction des lignes du champ magnétique terrestre. La direction de ce flux naturel dépend du lieu où l'on se trouve, d'où une déclinaison "D" locale, portée sur les cartes marines, avec mention d'une variation annuelle. Cette déclinaison est donc la différence entre la direction du nord vrai ou géographique et celle du nord magnétique. Elle ne dépend pas du compas mais du lieu. Le cap vrai (Cv) = cap magnétique (Cm) + D. D a un signe + quand elle est E, - quand elle est W.

Maintenant, comme toute boussole, le compas magnétique ou la vanne de flux va percevoir des lignes de champ magnétique terrestre qui sont déformées par des "fers" (métaux ferreux) environnants. En fait des fers durs (sorte de petits aimants permanents, pouvant être dus à des contraintes dans le métal par exemple), ou des fers doux (agissant comme de petits aimants mais orientés selon les lignes magnétiques).
C'est pourquoi par exemple, il est impératif de ne pas poser un couteau ou une montre près d'une boussole. Le fluxgate n'échappe pas à la règle puisque la détection des lignes de champ en est tout autant perturbée.
 
S'agissant de ne pas perdre le nord, voire de naviguer le plus précisément possible, il est donc nécessaire de "compenser" le compas pour le faire coller le plus possible à un compas magnétique virtuel qui donnerait le Cm dans toutes les directions du bateau. Ce qui n'est pas vraiment possible puisque on a vu que la perturbation n'était pas constante mais variait selon la direction des fers environnants (donc du bateau lui-même).
Le procédé de compensation par relevés et réglages par passages aux caps cardinaux et inter-cardinaux ferait l'objet d'un article entier. Il ne présente que peu d'intérêt en plaisance car rares sont les compas magnétiques qui sont pourvus de réglages. Quant aux compas fluxgate, ils bénéficient d'une procédure d'étalonnage décrite par le constructeur. Il s'agit généralement d'effectuer 2 tours (ou plus) à faible vitesse angulaire et de valider une valeur moyenne acceptable.
Fort de cette compensation, pour un compas magnétique, encore faut-il relever la courbe de déviation (erreur résiduelle), c'est-à-dire "réguler" donc tracer la courbe de déviation d=f(Cc) afin de corriger ultérieurement tout cap lu par la formule Cc + d = Cm. Connaissant D par la lecture de carte, on en déduit le Cv qui va nous permettre de travailler avec les vents et courants pour obtenir des routes.
L'obtention de la courbe s'obtient par relèvements, ce qui n'est guère possible sur un voilier car les compas ne sont pas munis d'alidade (dispositif de visée). Mais si vous en disposez, le principe est simple : on connait un relèvement vrai (Zv mesuré sur la carte depuis une position connue), on lit un relèvement compas Zc au moyen de l'alidade, on connait D. Après, c'est simple Zv = Zm + D, Zm = Zc + d que l'on cherche. On passe sur la position à différents caps Cc et on trace au mieux d=f(Cc).

Sur un voilier, les courbes de déviation sont inexistantes ou pas à jour (eh oui! il faudrait les tracer annuellement car toute la ferraille du bord évolue, tant dans son emplacement que dans son influence à perturber le champ magnétique terrestre). Toutefois les erreurs dues à la déviation, pourvu que l'on prenne quelques précautions pour l'emplacement du compas ne sont pas souvent supérieures à 5°. C'est à la fois peu, compte tenu de nos usages actuels et beaucoup s'il fallait travailler à l'estime car l'ordre de grandeur est la même que la dérive due au vent par exemple.
Disons que l'usage est limite professionnel. Il est rendu obligatoire sur des navires de pêche ou de commerce.

Revenons à la plaisance, avec notre matériel type compas de cloison et vanne de flux pour aborder d'autres points.
La vanne de flux n'est pas à négliger. Son montage demande autant de précaution qu'un compas magnétique. Loin d'éléments perturbateurs comme le moteur par exemple (ce n'est pas tant sa carcasse alu mais les circuits électriques, accessoires inox et boulonneries qui posent problème).
Après compensation (calibration chez les anglo-saxons), on ne tentera pas de relever la courbe de déviation de la vanne de flux (opération par comparaison de caps avec un compas compensé et régulé) mais le système donne généralement une erreur max résiduelle (Raymarine par exemple). Moins de 5° parait acceptable. Puis, généralement, je fais une rapide comparaison avec le compas magnétique en stabilisant à différents caps. Si je relève une différence assez conséquente pour un cap (par exemple 270° pour Cf (fluxgate) et 277° pour Cc, j'essaie de voir ce qu'il en est au cap inverse (90°) de manière à "recentrer" l'erreur. Car le fluxgate permet de régler le "zéro", ce qui reviendrait à faire tourner un compas magnétique dans son logement pour caler la ligne de foi. L'intérêt de ce réglage du zéro fluxgate va même plus loin car nul n'est besoin de monter l'équipement sur une cloison transversale. Toute cloison verticale fera l'affaire, longitudinale, voire de biais pourvu qu'elle soit verticale. Cela fonctionne très bien sur mon cata. Sur un mono, il faut cependant penser qu'une forte gite peut amener les éléments mobiles de la vanne de flux sur leur butée. C'est moins bon. Quoi qu'il en soit, un réglage du zéro par comparaison des compas, magnétique et pilote, permet d'être cohérent dans ses lectures de cap et dans ses éléments de nav.
Autre point : A ce stade, rien n'empêche de décaler le zéro... de la valeur de la Déclinaison. On obtient alors directement le Cv (ou presque puisqu'il sera entaché d'un peu de déviation. Il faut cependant garder en mémoire que la déclinaison varie selon le lieu et qu'une longue traversée peut amener à modifier cette valeur.
Pour ma part, j'ai choisi de garder une référence "compas" sur le pilote, ainsi que sur tous les instruments, y compris le GPS afin de comparer immédiatement les données mais ce n'est qu'un choix personnel. J'aurais pu placer le GPS et le pilote en "vrai" plutôt que "magnétique". D'une certaine manière, mon approche n'est pas "optimale" pour le GPS s'il fallait reporter à la main une route GPS sur une carte papier car il manque la déclinaison. Cela dit, mon traceur se moque pas mal de m'indiquer une route fond (Rf) par rapport au pôle magnétique (Rfm en quelque sorte) ou une vraie route fond (Rf) par rapport au nord vrai et telle qu'on l'entend dans les cours de navigation.
Il faut partir du principe que la trace est la route fond et que les éléments chiffrés ne sont là que pour vous indiquer des éléments de navigation selon les repères que vous aurez choisis.

Par courant nul (courant=0) et vent nul (dérive due au vent der=0), il n'y a pas de raison que le cap ne soit pas égal à la route fond. Donc Cv=Rf et Cm=Rfm. De même pour la vitesse : Vf ou Vgps = Vspeedo (si calibré).

Dès que le courant ou le vent agit sur le bateau, de petits "vecteurs" viennent s'ajouter à notre beau vecteur cap/vitesse (qu'on lit à bord : Cv=Cc+d+D et Vspeedo). S'agissant du vent, on retient surtout la route surface Rs = Cv + der, dérive due au vent que l'on estime par connaissance du bateau ou par des mesures en l'absence de courant. Quant à la vitesse, l'effet dû au vent se traduit cash par la différence de speedo. Pour être précis, nous parlons ici du vent relatif, le seul qui influe sur le bateau. Et cela tombe bien, il est donné par les instruments de bord! Le vent météo est différent compte tenu du déplacement du bateau sur le fond.

Si maintenant, le courant agit, notre route fond  et notre vitesse fond seront différentes de notre route (surface) et de notre vitesse speedo. Le speedo mesure une vitesse par rapport à la surface (enfin, 1 m ou 2 de profondeur). Donc de manière angulaire, Rf = Rs +der.courant (effet de la composante traversière du courant) et Vf = Vspeedo + delta.courant (effet de la composante longitudinale du courant).

Le GPS travaille toujours selon des positions successives géographiques du récepteur, et la vitesse n'est qu'une "dérivée" de la position en fonction du temps. C'est donc des éléments "fond" et non surface que l'on lit. Reste, comme je l'écrivais plus haut à choisir une référence géographique ou magnétique.
Rv gps = Rf ou Rv = Rs + der.courant = Cv + der.courant + der.vent = Cm + der.courant + der.vent + D = Cc + der.courant + der.vent + D +d

Rm gps = Rfm = Rsm + der.courant = Cm + der.courant + der.vent = Cc + der.courant + der.vent +d

Dans la pratique, je ne dois pas être le seul à ne jamais faire ces opérations (qu'il faudrait refaire à chaque changement de cap d'ailleurs car les influences du vent et des courants changent selon le cap).
Il parait important de savoir de quoi l'on parle, d'appréhender ces notions afin de mieux maitriser les instruments de bord ou d'en estimer les limites.
Ce n'est qu'une approche du compas et du GPS.
Pour ma part, je navigue résolument moderne. J'ai plusieurs GPS qui m'affranchissent d'une panne instrumentale, je navigue en temps réel sans trop me soucier d'une dégradation du signal par les russes ou les américains, car à moins de 500 m des côtes je suis à la vue (il est vrai que le brouillard est rare en Polynésie et que mon radar me sert plus à la météo qu'aux atterrages). En revanche, mon speedo est fréquemment calibré et une rapide comparaison vers le GPS me donne le courant dans la passe. C'est parfois édifiant!
J'aime savoir que mon pilote et mon compas sont au diapason. C'est un signe de bonne santé du pilote et je lui confie le cap à suivre, voire l'angle au vent. C'est quelque chose de plus délicat à faire si je n'ai pas calibré ma vanne de flux. Pourquoi? Imaginez lire Cc=360 avec Cflux=47, Cc = 90 avec Cflux= 175, Cc= 180 avec Cflux=198...
C'est non seulement des caps faux sur le pilote mais celui-ci ne sera pas trop sensible aux changements de cap demandés entre le nord et l'est (Cflux variant de 175-47 = 128° pour 90°) et trop sensible pour les changements entre l'est et le sud (Cflx variant de 198-175 = 23° pour 90°).

Enfin, comme beaucoup, je corrige (trop) ma trace en croisière. En oublie un peu que je suis sur un voilier, que les courants peuvent s'inverser, que la route fond (ortho) n'est pas forcément la plus rapide. Mais j'aime savoir où je suis en permanence, j'aime garder en mémoire un savoir-faire dépassé d'un point sur la carte papier qui n'indique que la position où l'on n'est plus et je regrette l'abandon par paresse de la pratique du sextant qui meublait les quarts, du temps où il n'y avait pas de films sur tablette.
Bonne nav! et regardez dehors.

Cordialement
Pierre Merlenghi



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