L’ancre peut faire couler beaucoup d’encre

15-04-2013 00:00:00

 

Que celui qui n’a jamais eu son ancre qui chasse, se coince, se croise, s’immobilise, se démobilise, se prend d’amitié avec un comparse, s’entortille dans la chaîne d’une autre, etc, etc, me jette la première aussière.

Parmi les quelques démêlées qui me sont arrivées, je vais vous en raconter quatre.

1/ La première se situe au Banc d’Arguin. Pour ceux qui ne connaissent pas le banc d’Arguin, celui dont je parle n’est pas celui du Radeau de la Méduse, sur les côtes africaines, mais celui qui délimite le bassin d’Arcachon et l’Océan Atlantique.

Il est le commencement ou la fin, suivant si l’on sort ou si l’on rentre, des fameuses « passes » ; des passes très dangereuses, interdites la nuit, donc non éclairées et balisées tant bien que mal du fait que les bancs de sables se déplacent, que les bouées rouges et vertes peuvent accidentellement se déplacer aussi, au gré des déferlantes, que c’est grave, inquiétant, et que si vous n’avez rien à y faire vous n’avez qu’à pas y aller.

Quand on dit le banc d’Arguin, il faut entendre une série de plusieurs bancs, « banc du chien » entre autres, qui d’une année sur l’autre changent d’emplacement, de surface, de forme, de hauteur, de profondeur et il convient donc de les redécouvrir chaque année. Pas la peine de se fier à une quelconque carte du coin !

Nous jetons l’ancre à bascule de l’Aloa par 3 mètres 23 de profondeur ou à peu près, sur fond de sable, dans un chenal où le courant se fait passablement sentir.

Comme souvent, je pêche sous-marin, la sole ou le carrelet ou tout autre poisson plat. Il est aussi difficile de les repérer que facile de les harponner. Mais l’eau n’est pas particulièrement limpide : courant, sable, varech. Une eau à vous emplâtrer le masque dans le sable avant même d’avoir entrevu le fond.

Après plusieurs plongées successives, je distingue une longue queue grise à demi ensablée au bout de laquelle, sous un amas de sable, se trouve forcément une grosse raie, une terre ou une torpille, en tout cas une grosse bestiole. Mon cœur se met à battre comme celui du chasseur qui se trouve nez à nez avec un sanglier d’une taille respectable, juste avant de grimper dans l’arbre (pas le sanglier, le chasseur).

Je remonte pour prendre de l’air, replonge aussitôt sur ma proie et m’apprête à tirer la chose quand tout d’un coup la bête démarre en marche arrière. J’ajuste, je tire, touche la chose dans un effroyable bruit métallique à faire se réveiller un maréchal ferrant. Je viens de tirer sur mon ancre qui, elle, chasse mieux que moi. Bredouille à la surface, je constate que le bateau s’en va sans même que les occupants, concentrés sur leur bronzette s’en aperçoivent. Au fait, inutile de crier dans un tuba, on ne vous entendra pas.

2/ Un jour de 1999, Anne, «  le chat, ma brune aux yeux bleus qui attire le vent » et moi, remontons le long des côtes turques de Bodrum à Kusadasi.

Notre route est nord, le vent nord-ouest : du près donc. Plus nous avançons, plus le vent forcit jusqu’à atteindre 7 beaufort. Dans ces conditions, que vous imaginez, je décide de nous réfugier dans une crique qui, sur la carte me parait bien à l’abri (à l’ouest du phare de la pointe Tekagac qui délimite au nord-ouest le golfe de Güllük). Nous découvrons un lieu paradisiaque, une crique bien à l’abri du noroît, au fond de sable blanc, à l’eau turquoise à faire pâlir un dépliant touristique de Bora Bora. La côte n’est pas élevée, nous profitons pleinement du bon force 8, (Meltem) sans l’inconvénient des vagues, on dirait un lac ! Aujourd’hui cette crique est occupée par une ferme aquacole.

Après avoir fait le tour au sondeur de la-dite crique, nous constatons que le fond est régulier ; nous décidons de mouiller par 3 mètres de fond. Anne est parée et, au signal, mouille. Elle jette l’ancre, toute l’ancre, mais l’ancre seule ! La chaîne reste sur le bateau ! Elle se tourne vers moi, l’air ahuri, me regarde avec des yeux de cocker battu, attend mon coup de gueule … qui, (fait exceptionnel) ne vient pas.

Je n’ai pas non plus envie de rire car il faut réagir vite, plonger dans le coffre pour aller chercher le mouillage de secours…

Une fois ce deuxième mouillage assuré, palmes, masque et tuba, vous plongez. Spectacle grandiose, vous êtes dans une piscine de sable fin où tous les mètres carrés se ressemblent et vous commencez à chercher, chercher, chercher. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà trouvés dans cette situation, mais bonjour l’orientation ! Vous ne savez plus exactement où vous avez mouillé la première fois. De temps en temps, vous questionnez désespérément Anne restée sur le bateau qui vous indique qu’elle croit que c’est par-là, … non, plus loin, … plus à gauche, … pas ici, tu tournes en rond ! En définitive, au bout d’une demi-heure, vous retrouvez, par hasard, exposée sur le fond comme dans la vitrine d’un shipchandler, l’ancre, et à côté, la manille, et à côté encore, le manillon. Tout content, vous vous dîtes qu’après tout vous n’êtes pas si maudit que çà. Cette liesse individuelle et personnelle ne dure qu’un instant. En effet, vous est-il arrivé de nager avec une ancre à la main ? Vos palmes vous servent à vous maintenir quelques temps en surface, vous progressez presque à la verticale et avancez à vitesse très réduite. Vous êtes obligé de lâcher l’ancre, d’aller la rechercher au fond, et ceci un certain nombre de fois.

Je vous recommande l’exercice, pas besoin de vous inscrire en thalassothérapie …

Vous pouvez aussi la repérer avec un orin et une bouée et revenir la chercher avec votre annexe; mais avec tout ce vent ? … 

Ce qui s’est passé ? Vous l’avez deviné ! Le bateau a tellement souffert, il a tant vibré, que le manillon s’est dévissé.

Nous le savons tous, il faut assurer nos manilles. Ca me fait penser qu’il faudra que je le fasse !  

3/ La mésaventure se passe à Kas (prononcez Kache) en Turquie, sur la côte lycéenne. Très joli port de pêche surmonté par de magnifiques tombeaux creusés dans la paroi rocheuse qui le surplombe. C ‘est une escale merveilleuse fréquentée par les Gulets ou Caïques, imposants promène-couillons à voiles et à moteur très répandus en Turquie, mais aussi par les bateaux de plaisance, dont Aloa.

Suivant la technique en vigueur, nous mouillons sur ancre au milieu du port et reculons pour amarrer l’arrière au quai.

Je navigue avec J.B. « Le Zen », excellent équipier qui sait tout faire sur un bateau.

Nous sommes arrivés la veille dans l’après-midi, avons visité, fait des courses, mangé, bu, rebu et dormi comme des bienheureux que nous sommes. Depuis longtemps j’ai adopté la tactique consistant à partir tôt le matin, au lever du jour, de naviguer jusqu’à 12 heures par jour à raison de 5 nœuds sur le fond, soit 60 Miles nautiques/jour. Cela nous fait arriver vers 16 heures 30 à l’étape suivante, ce qui nous laisse du temps pour la visiter.

Nous faisons également un repérage systématique, crique par crique et depuis 6 ans que je navigue en Mer Egée, à raison de 3 mois par an, je connais la côte turque de Foçà, au nord d’Izmir, jusqu’à Antalya. Ce repérage à l’avantage de n’amener Anne, par la suite, qu’aux endroits les plus attractifs.

Nous nous réveillons donc à 4 heures du matin, nous petit-déjeunons, nous gardant la possibilité d’aller aux toilettes une fois en mer, «  pour ne pas polluer le port ». Pour ne pas réveiller les voisins, nous tirons sur l’ancre après avoir largué l’arrière du bateau, sans mettre le moteur, s’en nous servir du guindeau.

C’est donc dans un profond silence qu’Aloa se déhale lentement vers le milieu du port. Je m’efforce que le bateau ne touche pas ceux des voisins et tout est bien.

Pourtant le bateau s’immobilise. J.B., la chaîne à la main essaie visiblement de tourner la tête vers moi qui me tiens à l’arrière, à la barre. Dans une position curieuse, il arrive à attirer mon attention et dans un langage muet, toujours pour ne pas faire de bruit, de me communiquer un message que je n’arrive pas à décoder malgré ses efforts d’articulation. Le plus doucement possible, je lui murmure un « qu’est ce que tu dis ? » auquel il répond un je ne sais quoi de feutré de chez feutré. Ce genre de question-réponse prend à chaque fois quelques décibels de plus jusqu’à ce que je comprenne que ma présence est demandée à l’avant, que ça presse et que mon J.B. est à bout de forces. Il tient au bout de la chaîne une ancre qui, dans la nuit, a dû prendre beaucoup de poids. Je l’aide à tirer sans plus de succès.

Pendant ce temps, l’arrière de l’Aloa touche légèrement mais sûrement l’avant de notre gentil voisin Allemand de bâbord. Il se retrouve sur son pont avec la tête d’un germain mal réveillé qui se demande pourquoi un français se met à s’activer dès le chant du coq. Il faut donc lancer le moteur pour se servir du guindeau. Le doux ronflement du bicylindre Volvo 2002 retentit dans le matin calme, auquel vient s’ajouter le crissement de la chaîne autour du guindeau.  L’entourage de tribord, des Anglais cette fois, sont comme les allemands, réunis maintenant, tous alignés sur leur pont respectif. Ils aident du regard, de leurs conseils et de leur expérience, de leur mauvaise humeur, de leurs pares-bates, de leurs réflexions en tous genres.

J.B. voit apparaître une ancre énorme, de plus d’1m50 de haut, de 200 kilos peut-être, celle du caïque d’en face dont les marins se mettent à gesticuler. L’arrière de leur bateau doit commencer à caresser le quai … 

La manœuvre dans ce cas est très simple, vous le savez. Il suffit d’amarrer et suspendre avec un bout l’ancre indésirable, puis de continuer à remonter la chaîne jusqu’à votre propre ancre qu’il faudra ensuite faire passer à travers celle des gesticulateurs d’en face, puis … inutile de vous faire un dessin ; çà vous est déjà arrivé ou, préparez-vous psychologiquement dès aujourd’hui parce que çà vous arrivera.

Tout aurait été fort simple si à ce moment là une envie pressente ne m’avait submergé. Une envie de faire ce que j’avais prévu de faire au large « pour ne pas polluer le port », une envie qui vous propulse à vitesse grand V sur le trône proche, celui des toilettes dont le panneau de pont est grand ouvert. Au ronronnement du moteur près, le silence redevient parfait. J.B., les Allemands, les Anglais, tout le monde rentre dans un mutisme à rendre jaloux une carpe. Tout le monde attend je ne sais quoi. Vous vous sentez observé. C’est fou ce que des bruits incongrus peuvent résonner dans une cuvette de W.C. Je pense à Anne qui, dans ces circonstances n’aurait pas manqué de faire une de ces réflexions dont elle a le secret, du style « Il est bien loin mon prince charmant d’autrefois! »

Pendant ce temps, mon J.B. le zen, stoïque face à l’évènement, attend patiemment que je revienne à ses côtés pour finir de nous désancrer. La manœuvre se fait alors mieux que sur le plan.

Nous quittons enfin le port avec les félicitations spéciales du jury qui doit se demander quand même s’il ne va pas avoir la même mésaventure. Car après tout, on ne s’est pas posé trop de questions lorsqu’on s’est débarrassé de notre prise. Belle manœuvre ! On se serait cru à St Tropez

4/ Cette histoire est arrivée à mes amis Georges et Jacqueline, retraités, qui naviguent sur leur bateau 7 mois par an.

Ils viennent de mouiller dans un endroit tellement vaseux que lorsqu’ils remontent leur mouillage, ils bardissent leur bateau de boue. Georges et Jacqueline sont Suisses, c’est dire que l’idée de naviguer sur un bateau sale leur est insupportable. Il sont en mer ionienne, le long des cotes grecques, sur des fonds de 300 mètres ; Georges a l’idée géniale, pour nettoyer son mouillage, de jeter l’ancre et de la laisser pendre au bout de ses 120 mètres de chaîne. La mer est d’huile, il progresse lentement.

Au moment de remonter le mouillage, le guindeau électrique, pas assez puissant pour lever un tel poids, disjoncte. C’est donc avec le winch d’écoute de génois et un bricolage astucieux qu’ils ont réussi, à deux, à le récupérer. Ils ont mis 2 heures 30 et s’y sont épuisés.

« Quand c’est trop profond laisse mouiller les autres », aurait dit César à son fils Marius.

 

Ps : Lorsque vous mouillez par 10 m de fond, le poids total à relever quand vous êtes à pic, est celui de 10 m de chaîne + celui de l’ancre.

Dans le cas de nos amis Suisses, le poids était celui des 120m de chaîne. Vous pouvez négliger celui de l’ancre !

Alain Bonneau



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