Fortunes de mer au mouillage
Les Baléares, Majorque, la baie de Port-Soller et son écrin de montagnes sont des lieux enchantés sous le soleil d’été, des mouillages faits pour illustrer les brochures, lieux de rêve… mais ils demandent tout de même un minimum de précautions de la part des skippers professionnels ou purs amateurs.
En juin, la baie de Soller n’est pas très encombrée par les bateaux à l’ancre. Le 13 de ce mois deux ou trois voiliers de location, une grosse vedette anglaise et un vieux gréement, un ketch d’environ dix-sept mètres, tout en acajou, en parfait état est inoccupé à cette époque de l’année, sont au mouillage. Dans la nuit, le vieux navire perd son ancre. A-t-elle dérapé et rompu le câblot ou celui-ci a-t-il lâché le premier ? Il dérive jusqu’à la plage, coinçant heureusement sa quille longue entre deux rochers...ronds ! Ce qui permettra de le sortir d’affaire plus facilement et de lui installer un «corps mort» pour plus de sécurité.
Quelques sorties estivales avec des clients, puis le propriétaire rentre en Allemagne à l’automne, laissant son bateau amarré au «corps mort» sous la garde d’un copain.
Il semblerait que l’amarre soit un peu courte, force et frotte un peu trop, toujours est-il que dans la nuit du 13 au 14 novembre (étrange coïncidence), lors d’un fort coup de vent, elle se rompt.
Le copain-gardien n’arrive pas à mettre en route le moteur, appelle à la rescousse un artisan local qui fait un peu d’entretien mécanique.
Il est trop tard pour lancer le moteur. Ils tentent de mouiller une première ancre trop légère avec une chaîne trop courte, elle dérape. La deuxième, seulement attachée à du câblot, réagit de la même façon. Les deux hommes n’ont que le temps de fuir en annexe.
C’est la fin, toute la nuit et les jours suivants, le grand mât brisé, mais retenu par les haubans, va défoncer les bordés comme un bélier du moyen-âge.
Pendant trois mois, des débris de l’épave vont s’échouer dans toute la baie et flotter dans le port. La plage évoque plus un cimetière marin qu’une aire de bronzage.
D’autant plus qu’une épave d’un petit bateau à moteur se désagrège également, à quelques dizaines de mètres de là.
Ce drame va connaître son épilogue les 13 et 14 (encore !) février de l’année suivante : lors d’une violente tempête, rafales force 11, l’épave se coupe en deux dans le sens de la longueur !
Quelques jours plus tard, une grue évacuera le «tas de bois» pour le brûler.
Chaque hiver, plusieurs bateaux connaissent ce triste sort.
Ils sont généralement sans aucune surveillance.
Luc AMALRIC