LA CORSE AU MOIS DE MAI
Le récit de Chantal et Hervé dans un précédent article a donné des idées à Christiane et Philippe qui nous racontent, à quatre mains, leur voyage en Corse au mois de mai. Nous invitons tous les membres et les inscrits à en faire autant.(écrire leurs voyages)
Conditions d’une traversée
La météo de l’été donne une prédominance des vents d’ouest et sud-ouest (70% du temps), avec des calmes qui transforment la belle bleue en un miroir extraordinaire.
Mais méfiez vous, ce tableau idyllique peut ce transformer en véritable cauchemar.
- N’appareillez jamais par mistral annoncé, en particulier lorsqu’une dépression se creuse sur le golf de Gênes. La houle s’oriente fréquemment au sud-ouest au large de la Corse (Libeccio) créant une véritable bouilloire parfaitement inconfortable.
- Attention aux orages de fin d’été qui peuvent couramment lever une mer très forte par vent de force 10.
- Les Bouches de Bonifacio sont un des endroits les plus dangereux de la planète. Le « cap Horn de la Méditerranée » doit toujours être abordé avec respect.
La traversée de jour ou de nuit doit se faire avec beaucoup de vigilance, les ferrys et les NGV étant omniprésents et surtout pas toujours vigilants. Méfiez vous de la vitesse des NGV, vos réflexes traditionnels sont totalement inadaptés à leur rapidité de déplacement.
La traversée avec les dauphins
Philippe
L’hiver à été pénible, le printemps flâne en chemin et ne s’est pas encore décidé à vraiment nous rendre le sourire. Jean Marc me téléphone un soir d’avril pour faire part de sa lassitude. Et si nous prenions quelques jours pour naviguer ? La Corse au mois de mai, que ça doit être beau.
Je ne connais l’île de beauté que pendant les saisons ou elle souffre d’une surpopulation chronique. Je rêve des criques de Girolata ou Campomoro vident de hors bords, jets skis et bateaux de promenades organisés.
L’équipage sera vite formé, Jeannot ne résiste pas longtemps à l’appel du large et Christiane se décide au dernier moment. Elle trouvera finalement une place dans la voiture qui nous amène au port d’attache de notre destrier des mers.
Ce sera l’équipage de la sagesse, à bientôt soixante ans nous ne sommes pas la pour des exploits sportifs mais bien pour profiter des meilleurs moments de la vie.
Comme pour saluer notre initiative, le soleil s’est installé depuis quelques jours et c’est par un temps idéal que nous quitterons le quai à 6 heures du matin pour rejoindre les côtes de la Corse.
Un petit vent d’Ouest gonfle le génois et la grande voile haute. Entre sept et huit nœuds le catamaran avale les milles avec un plaisir évident. En début d’après midi l Eole nous abandonne et c’est à la puissance des deux diesels que nous devons de maintenir la moyenne. Il est presque 19 heures quand nous laissons sur bâbord, accroché à sa falaise, la plaque d’entrée du parc naturel de la Girolata. Le mouillage sur le fond de la crique se fera pratiquement de nuit. Les dernières aussières seront portées sur les rochers avec l’annexe et les lampes torches.
Girolata
La tradition veut que la bonne heure pour appareiller du continent soit 17 heures. L’atterrissage à l’aube garantit un spectacle grandiose, la montagne Corse se découpant dans un ciel d’une luminosité irréelle.
Cette carte postale a un revers, elle nous prive du plaisir de la haute mer en plein jour avec son cortège de dauphins, cachalots, poissons lune et tortues de mer. C’est cette dernière option qui a fini par devenir notre tradition. Nous n’arrivons pas à nous lasser du spectacle offert par les habitants de cette mer vraiment pas tout à fait comme les autres.
Le petit matin est particulièrement frais. Le soleil, vraiment rare ces dernier temps, est pourtant au rendez vous mais sa chaleur mettra quelques heures à se faire sentir. Un seul autre voilier, venu de la « perfide Albion » nous dispute l’exclusivité des lieux. Le site est magique, il faut chercher beaucoup et certainement très loin pour trouver aussi beau. Les petits restaurants accrochés à la falaise comme les terrasses d’un jardin de montagne rivalisent d’attraits pour rendre notre choix le plus difficile possible. Nous nous déciderons finalement pour celui perché tout en haut, notre hôtesse étant vraiment très jolie. Le poisson grillé sera parfaitement à la hauteur.
Une navigation avec des thermiques légers nous amène à quelques milles d’Ajaccio quand une saute de vent couvre la zone de gros cumulus accompagnés de rafales surprenantes par leurs violences. Tout le monde sur le pont pour parer au plus pressé, deux riz dans la grand voile, un mouchoir de poche maintenu au génois et le grain aussi violent que court est effacé sans dégâts.
Le port de l’amirauté nous accueille pour la nuit. C’est un vrai étonnement que de pouvoir amarrer le catamaran au quai sans aucun problème de place. La magie du mois de mai opère une fois encore. Les restaurants de la vielle ville sont au bout du ponton et c’est des pâtes aux langoustes (langouste des sanguinaires) qui vont requinquer un équipage heureux de vivre.
Le lendemain matin c’est encore une fois la brise thermique qui va nous permettre de quitter le golf d’Ajaccio et le vent « diesel » qui nous permet de finir un trajet de trois petites heures pour découvrir, au fond du golfe de Valenco, un mouillage superbe. L’eau est turquoise, tout le long du périple se sera un sujet d’émerveillement, tout particulièrement pour le seul élément féminin de l’équipage, La température de la Méditerranée est suffisamment chaude pour nous permettre le premier bain de mer de l’année sans grelotter. La beauté du couché de soleil et les prouesses culinaires de Christiane renforceront encore notre sentiment de bien être.
La météo nous garantissant un calme parfait, nous appareillons tôt le matin. La trentaine de milles qui nous sépare de Bonifacio se fera au son des moteurs. Nous en profitons pour longer la côte au plus prés. Les roches et falaises, tantôt rouges, tantôt blanches, plonge dans une eau aussi surprenante par sa couleur que par sa limpidité. Quelques bateaux de promenades qui disparaissent mystérieusement dans des trous de la falaise nous font comprendre que le but n’est pas bien loin. Bonifacio nous accueille dans son port sans plus de façon qu’Ajaccio. La largeur du catamaran parait ne pas être la même en mai qu’en août.
Le port de Bonifacio
Bonifacio est vraiment l’un des plus beaux endroits du monde. La ville, accrochée au rocher, a su garder son authenticité. Les ruelles serpentent entre les maisons d’un autre age sans pour cela donner l’impression au promeneur de déambuler dans un musée tant la vie est présente à tout les coins de rues.
Un restaurant situé à deux pas du port, spécialiste des pâtes, finira de nous rendre amoureux de cette ville.
C’est à regret que nous prendrons la mer en fin de matinée après une dernière promenade en haut du rocher.
Rondinara, petite crique presque totalement ronde comme le dit si bien son nom de baptême, nous consolera d’un clin d’œil de son eau limpide. Les fonds sableux de ce mouillage rappellent avec insistance les beautés des îles des Caraïbes.
Porto Vechio n’est qu’à quelques milles et c’est l’escale ou Christiane nous quittera, des larmes plein les yeux, pour rejoindra la vie de tout les jours. Les montagnes corses, à trente kilomètres du port, sont d’une beauté époustouflante et c’est avec un vrai plaisir que l’on va jouer, une journée durant, les touristes terrestres. Une dernière escale à Saint Florent pour voir à quoi ressemble la ville que nous fuyons régulièrement pendant la haute saison.
Le temps commence à nous manquer, il faut penser au retour c’est quelques jours nous ont permis de découvrir le vrai joyau de la Méditerranée. « Îles de beauté » est un nom qui lui va parfaitement, nous allons souvent chercher loin, éblouis par des noms qui font rêver, ce que la Corse sait nous offrir avec une merveilleuse générosité.
Christiane
La vie vient de me jouer un vilain tour et j’ai vraiment besoin de faire un break. Les copains partent faire un voyage en bateau. Ce n’est pas la première fois qu’ils me proposent de les accompagner mais ma mère et mon père étant totalement dépendants, je n’ai jamais pu m’éloigner de Bordeaux. Cette fois ci ma sœur a trouvé les mots pour me convaincre, elle assumera ma part de contrainte familiale pour que je puisse pendant quatre ou cinq jours goûter aux joies du voyage.
Le bateau m’impressionne. Aurais-je le mal de mer ? Est-ce que j’aurais peur ? Ces quelques jours vont-ils être un plaisir ou une angoisse supplémentaire ? J’ai déjà navigué sur un voilier et j’en garde un bon souvenir, mais il y a si longtemps.
La navigation a été un régal, je redoutais une traversée de nuit, ou des exploits de « voileux » (je viens d’apprendre le mot), le soleil et les dauphins ont gommé mon appréhension.
Au réveil, après la première nuit à l’ancre, la couleur de l’eau est un émerveillement, je pensais qu’il fallait traverser l’Atlantique pour de telles couleurs. Je suis dans un endroit paradisiaque. J’ai envie de tout photographier pour que ma sœur en profite un peu. Clic, clic et encore clic, au visionnage je serais un peu déçu, je n’ai sur l’écran pratiquement rien d’autre que la couleur de cette eau qui me fascine.
Tout est la pour me faire oublier mes problèmes. C’est une autre planète, le quotidien morose s’évanouit comme par enchantement. Ma seule angoisse est qu’il va falloir que je reparte bientôt.
J’ai besoin de me raisonner car le forfait de mon GSM est entrain d’exploser, il faut à tout pris que je partage cette plénitude avec ma famille. Chaque émerveillement, même les plus insignifiants, sont les responsables d’un appel téléphonique. La couleur de l’eau, les fleurs sur le chemin menant au restaurant de Girolata, le restaurant lui-même, le loup grillé, la vu du bateau depuis les hauteurs etc… cela devient vraiment onéreux.
J’ai très envie de me baigner mais l’eau est vraiment froide.
Le trajet vers Ajaccio est tranquille jusqu’au moment ou une tempête très forte se met à secouer le bateau. Je crois que la surprise et la beauté de la mer m’ont fait oublier un début d’angoisse. Les vagues passent par-dessus le pont avec un bruit assourdissant. Assez rapidement les nuages disparaissent, je n’ai pas eu peur. Peut-être que si tout cela avait duré plus longtemps….
Ajaccio m’a beaucoup plu, même si je préfère les endroits sauvages ou j’ai l’impression que la plage m’appartient. Je dois prendre l’avion aujourd’hui, mon air triste a fait craquer tout le monde et je me retrouve kidnappé (avec mon accord) par l’équipage.
On trouvera bien un autre avion a affirmé Philippe.
Je vais donc faire un bout de chemin supplémentaire. Je décide d’aller au ravitaillement, je suis heureuse de m’occuper de « mes homme » et la cuisine à bord deviendra la règle, je trouve très agréable de préparer des repas que nous dégustons au soleil dans le cockpit.
Bonifacio me submerge d’enthousiasme et les photos vont bon train. Je me sens enfin totalement bien. Les problèmes bordelais sont enterrés sous le bonheur d’être là. Mes nuits sans sommeils de ces derniers mois ne sont plus qu’un souvenir. Je dors enfin.
Quand je quitterais le bateau, après l’escale de Porto Vechio, j’aurais des larmes dans les yeux jusqu’à Nice.
Sur les murs de mon atelier s’affiche la grande photo de Rondinara que les garçons m’ont offert à l’aéroport. Quand le spleen me gagne je me plonge dans cet endroit magique pour un moment de bonheur.