Agressions en mer 2° Bataille d’Alain Bonneau
Alain Bonneau nous a raconté, avec beaucoup d’humour, ses batailles navales. La première qu’il nous a racontée, a enchanté de nombreux lecteurs quand nous l’avons publiée en janvier dernier. Alain et son copain Guy, armés jusqu’aux dents avaient courageusement affronté la « Marine grecque » et après une victoire de haut vol avaient préféré se replier vers la Turquie, pays qui leur semblait bien plus accueillant. Mais voilà nos marins sont de nouveau en guerre. Contre la marine turque cette fois ?
Je laisse Bernard nous raconter cette épopée.
Turquie
Nous sommes en Turquie. Jean-Pierre « D’Artagnan », Michel, un ami commun et moi, quittons Kusadasi à minuit. Nous allons à Foçà (prononcez Fotcha) en passant par le détroit de Cesme (prononcez Tchechmé) entre la côte turque et l’île grecque de Chios (prononcez Kios). Nous arriverons normalement vers les 18 heures.
Il fait bon, il fait beau, personne à l’horizon, tout est calme, une veille inutile … Pas beaucoup de vent, donc voile et moteur. Il faut faire 5 nœuds sur le fond pour avaler les quelques 90 milles nautiques.
Je prends le 1er quart, mes deux coéquipiers sont dans leur couchette respective. Il est deux heures du matin, nous venons de passer le phare de Doganbey.
Tout d’un coup, sirène et projecteur à 100 mètres derrière nous. Une vedette rapide nous rattrape, vient à notre hauteur. Elle est blanche avec des stries obliques orange et bleues, d’une douzaine de mètres avec une mitrailleuse de gros calibre sur le pont. Ce sont les Gardes-Côte turcs : « Sahil Güvenlik » tout de blanc vêtus.
Je dis à mes amis de ne pas se montrer. Trop tard, deux têtes endormies sortent déjà des capots de l’Aloa.
Un des cinq marins de la vedette, maigre et balafré m’interpelle : « Captain ! Papers ». Je descends dans la cabine, ouvre la table à carte et, dans la pénombre, saisis une enveloppe en plastique transparent, dans laquelle je conserve mes papiers. La vedette est déjà à couple, à grands renforts de pare-battes. Je leur donne les papiers. Ils me les rendront, après contrôle, comme c’est l’usage. Ils s’éloignent tous feux éteints. Nous reprenons notre route. Ils reviennent au bout d’un moment et nous crient quelque chose comme « tchéchik, tchéchik, tchéchik » en nous faisant signe d’aller en direction du nord, alors que notre cap est ouest-nord-ouest. J’essaie de parlementer à distance, leur signale que nous allons à Foça, mais personne d’entre eux ne parle ni l’anglais ni le français. Ils recommencent leur, « tchéchik ».
Je prends la direction qu’ils m’indiquent, mais où m’amènent-ils ? J’examine la carte. Aucun port dans les environs : le plus proche, celui de Sigacik, à 10 milles au nord. Ce n’est pas possible ! Ils ne vont pas nous amener aussi loin ! 2 heures de route !
Je m’aperçois que je me suis trompé de papiers. Je leur ai donné le contrat passé avec mon port d’attache Sétur Marina de Kusadasi, au lieu de l’acte de francisation, et surtout le fameux « Transit-log » obligatoire pour naviguer en Turquie. Je remonte dans le cockpit, ils ont disparu dans la nuit. Je reprends le cap de Foça ! Jean-Pierre me signale une épaisse fumée noire à quelques centaines de mètres derrière nous. Tous feux éteints, un bateau beaucoup plus gros, nous rattrape. A son tour, il nous éblouit de son puissant projecteur. La première vedette est à ses côtés. Visiblement ils discutent entre eux. Pas rassurant du tout ! La vedette vient se placer devant nous et le gros bateau derrière. Re « tchéchik » : j’obéis. Nous voilà, bien encadrés, faits comme des rats, faisant route nord. Drôle de convoi.
(Ils ont pensé aussi que nous faisions une manœuvre de diversion !)
Mes deux copains et moi nous nous posons toutes sortes de questions. Je fais mon examen de conscience. Suis-je en règle, qu’ai-je fait ? Deux heures après, nous arrivons au port de Sigacik. Le gros bateau, tous feux éteints, disparaît. La vedette nous guide dans le port que nous découvrons pour la première fois. Elle regagne l’emplacement qui lui est réservé devant la petite caserne « Sahil Güvenlik ». Ils nous ordonnent de nous mettre devant eux. Jean Pierre saute sur le quai et amarre l’Aloa.
Deux gardes-côtes armés de mitraillettes viennent se positionner sur le quai, l’un à la proue, l’autre à la poupe de l’Aloa. Ils ordonnent à J.Pierre de regagner le bord. Il est 4 H 20. Nous sommes assis en rang d’oignons dans le cockpit. Le jour se lève. Du haut du minaret tout proche, le muezzin appelle à la prière. On a du mal à se retenir de rire : c’est les nerfs ! Je demande à mes amis de faire profil bas. Le temps est long, interminable. Arrive alors une estafette bleu marine marquée « GENDARMA ». Huit gendarmes en tenue de combat (treillis kaki) en jaillissent, dans un concert de cliquetis de menottes accrochées à leur ceinturon. Pas rassurant. (Pour pouvoir inspecter un bateau étranger, il faut un jugement spécial. Ils l’ont obtenu dans la nuit, ce qui explique les interminables coups de téléphone de l’officier des garde-côtes. Les gardes-côtes ne sont pas habilités, à faire des perquisitions, d’où l’intervention de la Gendarma. )
Bref conciliabule entre les deux officiers, gendarme et garde-côtes. Les gendarmes nous demandent nos papiers. Jean-Pierre et moi donnons nos passeports, Michel n’en a pas, seulement une carte d’identité (en Turquie, le passeport est obligatoire en mer).
Le balafré nous donne l’ordre de le suivre au poste, j’en profite pour lui donner les bons documents du bateau qu’il examine et transmet dans le bureau d’à côté, à son supérieur, qui n’arrête pas de téléphoner.
Est descendu en même temps du fourgon, un jeune homme en survêtement, visiblement mal réveillé. C’est un interprète. Il m’informe que les gendarmes vont perquisitionner le bateau et que je ne peux pas m’y opposer. Je dis à Jean-Pierre et à Michel de bien surveiller que personne ne dépose quoi que ce soit dans le bateau à notre insu. On ne sait jamais, on a trop vu de films, peut-être … ! (Midnight-Express par exemple).
L’officier de gendarmerie monte sur Aloa.
Inquiet, il jette un regard prudent à l’intérieur du bateau, en se servant de sa lampe torche. Il descend, je le suis. Il inspecte la cabine avant, la couchette arrière, ouvre l’armoire à cirés … puis remonte. En quittant le bateau, il se prend un pied dans la filière, tombe à l’extérieur, entre le quai et la coque. Il est pendu par la cuisse. Il hurle de douleur. Ses gendarmes le regardent ébahis, personne ne bouge. Il hurle, continue à hurler. C’est J. Pierre et Michel qui lui viennent en aide, l’agrippent, le halent et le remontent sur le quai. Il s’éloigne en boitant et vociférant. Pas rassurant tout çà !
Nous sommes convoqués une nouvelle fois au bureau, nous avons la peur au ventre.
L’interprète écoute ce que lui dit l’officier des garde-côtes. Son visage semble s’éclairer. Il nous traduit : « vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre, vous avez été contrôlés. Les gardes vont vous remettre le procès-verbal de leur intervention. Il s’agit d’un contrôle contre l’émigration clandestine …» Les gendarmes s’en vont en laissant l’interprète.
Il est 6 H du matin ! On nous sert le thé. Rassuré, je pars dans un discours fleuve vantant les mérites des garde-côtes, à rendre jaloux un vieux renard d’homme politique en campagne. C’est vrai qu’on est bien content de les avoir quand on est en difficulté. Le traducteur traduit au fur et à mesure, le visage des garde-côtes s’illumine petit à petit. L’atmosphère n’a plus rien à voir, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !
Je signe le procès verbal, nous les saluons, nous partons en direction de notre bateau. Le balafré, une nouvelle fois, nous demande nos papiers, les réexamine, consulte une liste de noms et nous les rend à regret. En voilà un qui ne digère pas le chou blanc !
Nous avons bien sûr raconté cette histoire à Aldo, notre grand ami turc. Il nous a donné toutes les explications après avoir lu les journaux qui relataient les faits :
Cette nuit là, la Turquie avait organisé une vaste opération « coup de filet » dans le cadre de la lutte contre l’émigration clandestine (Orient vers l’Europe). La Turquie devait faire preuve de bonne volonté, auprès de la Grande-Bretagne en particulier, qui, sous cette condition, était d’accord pour se porter caution d’un emprunt auprès du FMI (Front Monétaire International).
Notre pays d’accueil avait mobilisé d’importants moyens pour cette opération d’envergure et très médiatique.
Cette nuit là, un bateau de pêche turc contenant vingt clandestins a été arraisonné aux environs de Bodrum, soit 100 milles nautiques au sud. Notre ami le balafré n’y était pas !
Pas de chance pour lui décidément !
Sur l’arrière de l’Aloa, j’ai fait inscrire son nom, mais aussi, en toutes lettres, celui de son port d’attache : Arcachon. Excès de fierté peut être. Ils ont cherché dans leurs listes de bateaux français en transit, sans le trouver bien entendu, un bateau du nom d’ «Arcachon »…!
Depuis, il est marqué : ALOA II
AC
Ce qui est réglementaire.