A la conquête d’Antigua & Barbuda
« The land of sea and sun » : c’est ce que proclament les plaques d’immatriculation de cette petite république qui réunit les deux îles d’Antigua et de Barbuda, située entre Guadeloupe au sud et St Barthélemy au nord. 365 plages disent les dépliants publicitaires, les « resorts » (hôtels) parmi les plus sélect des Antilles, les méga yachts de luxe –certains amarrés au ponton de somptueuses villas-, le très anglo-saxon « rhum and ginger » au coucher du soleil, mais aussi d’exceptionnelles tables gastronomiques de toutes les cuisines du monde, les boutiques free taxe de la plupart des marques internationales haut de gamme : tout un univers d’argent et de luxe très anglo-saxon…représentatif cependant d’une seule des facettes d’Antigua.
Le petit zeste historique, avec English Harbour, un port créé plus de 2 siècles en arrière par l’Amiral Nelson, donne un autre charme suranné à l’île : les bâtiments entièrement restaurés créent une belle ambiance d’époque dans laquelle on finit de s’immerge complètement, lorsqu’à l’entrée du musée, surpris par la couleur rouge écarlate du sol en bois, on peut lire en préambule que tous les ponts des bateaux de l’époque étaient ainsi peints pour se confondre avec la couleur du sang qui y coulait….c’était, il est vrai, non seulement le temps de la guerre entre anglais, français et espagnols pour la domination des îles antillaises, mais aussi celui des pirates et des corsaires!
Antigua recèle aussi des trésors naturels, avec ses vastes lagons, déserts ou presque, abrités par des barrières de corail, ses réserves d’oiseaux, sa faune sous-marine. Toute la difficulté est d’y accéder, et mer et vents se sont ligués pour nous en interdire l’accès…
Peu importe, changement de programme : nous rêvons, depuis bien longtemps déjà, d’aller à Barbuda ! Avant de prendre la mer au long cours, dans notre vie antérieure, nous avions lu un tout petit article écrit par l’un des rares plaisanciers passés par Barbuda ; en effet, l’île n’est guère facile d’accès : excentrée par rapport à l’arc des Antilles, elle est pour commencer hors des routes maritimes habituelles – autrement dit, vent et mer de face pour y arriver- ; en plus, ses côtes sont truffées de coraux, ce qui rend son abord assez dissuasif pour la plupart des bateaux ; d’ailleurs plus de 200 épaves gisent sur ses fonds ! Mais une fois toutes ces embûches vaincues, ces marins décrivaient un paradis de nature, de solitude et de sérénité. Pendant plusieurs années, nous avons donc fantasmé sur Barbuda, un des lieux mythiques où nous avions juré de poser notre ancre. Et exceptionnellement, les conditions météo s’y prêtent très bien !
Jean-Philippe prépare notre navigation avec soin, traçant une route qui contourne largement les bancs de coraux barrant son accès ; nous avons à ce moment là la chance d’être quatre à bord, avec Claire et Eric, et nous bénéficions de deux paires d’yeux supplémentaires pour surveiller les fonds à notre arrivée. Il est midi, grand soleil au zénith, les conditions idéales pour entrer dans le mouillage. Nos 8 yeux, chaussés de verres polarisants pour mieux voir les patates de corail, scrutent l’eau : « à bâbord toute…à tribord …Vite !Barre à fond…tout droit…ralentis…. »Un peu de tension, mais après un élégant slalom, nous posons l’ancre à 5 mètres de la plage, dans une eau turquoise comme on en voit que sur les annonces publicitaires !C’est notre première entrée dans un mouillage un peu « chaud », nous apprendrons avec l’expérience à « lire » les couleurs de l’eau et à discerner le moindre petit frisottis à la surface de l’eau révélant une remontée de corail, ce qui nous rendra beaucoup plus sereins dans des passages parfois nettement plus délicats. Les seules situations rédhibitoires : le méchant et malvenu nuage qui cache momentanément le soleil et rend la mer uniformément bleue marine, auquel cas, la seule solution est d’immobiliser le bateau et de patienter, ou encore une entrée face au soleil, qui empêche tout décryptage sous une surface brillante de reflets. Et impossible de se fier aux cartes, car le corail grandit, s’implante ailleurs, rendant les relevés de fonds erronés en quelques années.
La même, vue de la plage et vue de la mer
Barbuda est une petite île basse, de quelques kilomètres carré, couverte d’une végétation sèche et épineuse, habitée par quelques dizaines de familles, dans un unique village –Codrington- où chèvres, ânes et chevaux vivent en toute liberté. Le tourisme, à l’inverse de sa grande sœur Antigua, y est quasi inexistant : de rares voiliers, 2 hôtels extrêmement sélectifs, fermés et chers (ils abritent parait-il fréquemment stars et personnalités en quête de calme et d’incognito), quelques privilégiés d’Antigua qui y possèdent une résidence secondaire…et dire que deux siècles auparavant, Barbuda était le « parc aux esclaves » des riches planteurs d’Antigua ! Les habitants y vivent de la pêche (entre autres aux langoustes), et de l’exportation de leur magnifique sable blanc.
Le trésor de l’île ? Des dizaines de kilomètres de plages de sable d’un blanc crémeux légèrement rosé, abritées par les barrières de corail, une faune marine riche et préservée, des palettes de bleus aquatiques et célestes à couper le souffle. Le secret de cette ambiance si particulière? Un accueil nonchalant, une amabilité naturelle et néanmoins un peu distante: les habitants ici n’ont pas besoin du tourisme et ne cherchent en aucun cas à le développer, même si la vie est très simple et modeste à Barbuda. Un défaut peut-être ? Difficile à supporter pour les hyperactifs, les seules activités possibles se réduisant à la baignade, le masque et le tuba, les promenades sur des kilomètres de plages désertes, la visite de la plus grande réserve de frégates (de grands oiseaux marins) des Antilles, la pêche (discrète car interdite aux non résidents) à la langouste et autres poissons exotiques.
Après quelques jours merveilleux à Cocoa Beach, et le départ de Claire et Eric, nous décidons d’appareiller pour St Barth. Nous n’avons pas de météo depuis plusieurs jours, car dans le mouillage, nous ne recevons pas les prévisions émises de Guadeloupe. Une demie heure après notre sortie de la baie, nous captons un message émis par le C.R.O.S.S.A.G. (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage. Antilles Guyane) : Alerte rouge sur la zone où nous nous trouvons ! Une très grosse houle de nord de 7 mètres, venue de Terre Neuve où sévit une très forte tempête, est attendue dans les 12 heures! St Barth où nous projetons d’aller n’offre aucune protection. A St Martin, plus au nord, il y a une sorte de lac intérieur très bien protégé, mais c’est plus loin est nous ne sommes pas surs d’y arriver à temps. Le mouillage d’où nous sortons est exposé et prendra la houle de plein fouet. Les quelques mouillages protégés à Antigua sont petits et vont être pleins à craquer. Il y a bien un lagon au sud de Barbuda, qui parait être un bon abri, mais l’entrée, très mal pavée, parait dangereuse….autant de cartes et de guides différents consultés, autant de versions divergentes sur la manière d’y entrer….Cela nous parait tout de même la « moins mauvaise » des solutions, et nous sommes sans doute ce jour là sous une bonne étoile car le soleil brille dans un ciel limpide (c’est assez rare ici, il y a toujours quelques cumulus) , ce qui nous permet de très bien voir les fonds et les coraux. C’est décidé, nous entrons à « Spanish Point », en espérant que l’abri sera suffisant. L’entrée se fait sereinement, sans encombre, et c’est même un grand bonheur que nous ne connaissions pas, de louvoyer sur 1,5 à 2 mètres de fond, entre récifs coralliens, sur une mer exceptionnellement transparence révélant chaque détail du fond, où se projette nettement l’ombre de Tuamitoo, pour enfin choisir notre place dans cet immense et superbe lagon en laissant bien loin les 4 ou 5 bateaux qui mouillent là.
Dès le lendemain, l’eau se trouble sous l’effet de l’arrivée de la houle, mais notre décision s’avère être bonne car le plan d’eau ne bouge pas, alors que nous voyons des montagnes d’écume blanche se briser sur les barrières de corail qui nous entourent. A St Martin où nous irons plus tard, un hôtelier nous racontera que les vagues traversaient le rez-de-chaussée de son hôtel, emportant sur leur passage meubles et même énormes jardinières en béton ! Nous, pendant ce temps, vivons en robinsons. Le dessalinisateur est en panne, et nous devons limiter notre consommation à 10 litres par jour ; ce n’est finalement pas si difficile que cela ! Lavage du matériel et des hommes à l’eau de mer, puis rapide -très rapide !- rinçage à l’eau douce. Lorsque nous retrouverons de l’eau en quantité, ce sera quand même une vraie jouissance que de pouvoir rester sans compter sous un jet abondant d’eau douce !!! Les provisions fraîches se font rares, et lorsque j’aperçois sur le fond deux lambis (de très gros escargots à la coquille magnifiquement nacrée de rose), je les ramène en toute discrétion sur le bateau. Les choses se corsent quand il s’agit d’extraire les bestioles de leurs coquilles : impossible alors qu’elles sont vivantes, leur pied les attache trop puissamment à la coquille. Nous n’avons aucune idée sur la façon dont procèdent les locaux, et nous y allons de notre imagination : l’un sera cuit avec sa coquille dans la cocotte (qui le contient tout juste), l’autre sera « endormi » dans le congélateur. Résultat : dans les deux cas, après quelques efforts, nous réussirons à extraire les mollusques. Nous apprendrons plus tard comment couper le pied du lambi et l’extraire sans la pince multiprises! Second écueil : qu’est-ce que l’on mange là-dedans ? Nous n’en avons jamais vu que cuisiné, dans une assiette, au restaurant…Je choisis les parties qui me paraissent comestibles (je pense, renseignements pris, en avoir éliminé beaucoup trop, dommage…), les découpe en petits cubes que je fais sauter dans une poêle à l’huile d’olive et à l’ail. Une franche réussite ! Malheureusement, la mer va devenir tellement trouble avec la houle extérieure que la pêche au lambi s’avère impossible. Nous restons 4 jours à l’abri et finissons par ressortir, pour constater que les plages ont reculé de plusieurs mètres parfois, ensablant complètement les rares abris ou paillotes posés là.
La météo est bonne maintenant et nous filons vers St Barth, le St Tropez des Antilles : nous y mouillons au milieu des plus grands voiliers du monde réunis pour une semaine de régate. C’est une image étonnante la nuit que d’être entourés au mouillage de Gustavia, la capitale, d’immenses sapins de Noël figurés par les mats illuminés de ces très grands bateaux : saisissant contraste avec Barbuda d’où nous venons, où le ciel d’encre n’est éclairé que des étoiles et de la lune. Nous quittons vite boutiques de grand luxe, bars et restaurants hors de prix, villas luxueuses pour nous rendre à St Martin, cette étonnante île mi-hollandaise, mi-française, franchisée de TVA, où les bateaux affluent de toutes les Antilles pour effectuer à bon prix achats techniques et réparations. Nous aussi venons pour cela, plus que pour les casinos, boites de nuit, restaurants et bars qui fleurissent sur le côté hollandais de l’île, où se développe un tourisme de masse. A St Martin, une nouvelle alerte météo se déclare, orange seulement cette fois ! Ici, pas de problème, nous entrons dans ce qui est appelé le lagon (ça n’en a que le nom ! Il est même fortement déconseillé de s’y baigner….) : un plan d’eau de mer intérieur, auquel les bateaux ne peuvent accéder que par deux canaux (un en France et un en Hollande), barrés de ponts levants qui se lèvent 4 fois par jour. Ce n’est pas joli, mais cela a le mérite d’offrir une protection parfaite !
De toutes façons, nous passons nos journées à courir de shipchandlers en shipchandlers et autres magasins techniques, à chercher ce dont nous avons besoin, à comparer les prix calculette en main : la devise la plus utilisée côté hollandais est le US$ (plus que le florin, l’ancienne monnaie nationale qui circule encore ici), et l’euro côté français. Pour chaque achat, en France ou en Hollande, la même question se pose : quelle monnaie ? Calculs alambiqués en fonction du taux de change officiel, du taux de change pratiqué par le magasin, du taux auquel nous même avons acheté nos dollars….au final, nous finirons par quasiment tout payer en dollars, y compris le café et le pain côté français…comme le font tous les résidents côté français depuis que le dollar s’est effondré. Une dame dans la rue à qui je demande où trouver un supermarché m’en indique deux, en me recommandant cependant chaudement l’un d’entre eux car il pratique le 1euro=1$, comme le font de plus en plus de magasins pour ne pas perdre la clientèle américaine qui a tendance à migrer côté hollandais…Univers fou et contrasté de St Martin !
Ariane